Chez Me Philippe Rouillac à Cheverny, le 11 juin, lot 80 : « Portrait de Watteau dit Portrait à la chaise » par Rosalba Carriera (Venise 1675 - 1757) - 33 x 25 cm, bande de papier rajoutée en bas « usures et piqûres »
(Photo P. Rouillac - « Portrait de Watteau dit Portrait à la chaise »)
Le 143 du catalogue Rosalba de B. Sani, c’est-à-dire au rittrato de Antoine Watteau (26.5x22.9 cm) du Frankfurter Städelsches Kunstinstitut est une copie de ce pastel.
Oui.
Est-ce un Portrait ? une préparation tout au plus.
Est-ce de Rosalba ?
Est-ce Watteau ?
Pour une estimation 60 à 80 000 €, on peut se poser la question
(Photo Institut d’art de Francfort – « Portrait d’Antoine Watteau », on voit qu’il s’agit d’une copie, la pose est identique mais inexplicable en l'absence de torse et de chaise – photo de photo couleur incertaine)
Au dos du dessin, une notice, d’une belle calligraphie donne des extraits de la vie de Watteau suivie de « Peint par la Rosalba »
En 1770 lors de la vente de la collection d’Ange Laurent de La Live de Jully (1725-1779) – première indication de provenance, 50 ans après la date présumée du portrait - la Rosalba jouissait d’une grande renommée, elle était une pastelliste collectionnée, alors que Watteau n’était plus connu que d’une toute petite minorité.
Une attribution à Rosalba était facile et flatteuse.
Les préparations répétées ne sont pas dans le mode de travail de Rosalba qui ne fait pas de poses originales.
Un portrait en plongée avec torse vu de profil et tête à 30°, chose très rare, ne peut pas être d’elle.
Elle cadre à hauteur, on le voit bien à Dresdes.
La boite à pastels de la vénitienne est différente des ocres et des gris de ce dessin, on ne voit pas ses manières comme les lumières irréelles derrière la tête, le cou et la cravate éclairée (voir le portrait d'Anton Maria Zanetti de Stockholm).
(Photo P. Rouillac - biographie de Watteau au dos du pastel, suivie de la mention « peint par la Rosalba »)
Watteau avait 36 ans quand Rosalba l’a rencontré et a fait son portrait, un an avant sa mort de la tuberculose, c’était un homme amaigri « d'une faible constitution… sa santé délicate ou pour mieux dire sa foiblesse… d'un abord froid et embarrassé » (voir les notes de frères Goncourts) qui ne cachait pas son age.
Le portrait qu’elle a fait d’A. Watteau du Museo Civico Luigi Bailo de Trevise (55 x 43 cm) comme celui gravé par Lépicié, le montrent la joue creuse, le cerne sombre, maigre et le visage long.
Dans ces conditions, il fallut à J. Cailleux en 1969 des trésors d’imagination et d’autopersuasion (ce serait une wattisation imaginaire du souvenir de Watteau, par la Rosalba… en vacances, le soir et de la main gauche pendant une crise d'Elsheimer précoce…) pour revoir Watteau aux portes du tombeau dans cet adolescent, aux bonnes joues, au léger strabisme torsionnel divergent.
(Photo Musée Louis Bailo, Trévise - Portrait d’Antoine de Watteau, par Rosalba, gros plan recadré)
La notice de la vente dit « bien que Rosalba Carriera ne soit pas réputée pour son art de la ressemblance… »…
Faut pas pousser
Rosalba travaille vite et ne soigne pas toujours le détail, mais si ses portraits n'avaient pas été ressemblants, on le saurait
Elle a connu un énorme succès, elle a été sollicitée par une vaste clientèle de gens exigeants qui ont parfois parcouru des milliers de km pour se faire tirer le portrait.
Il existe non loin de LOF un gros village qui s’appelle Vila Nova de Milfontes (Ville nouvelle aux mille sources), dont on dit ici qu’il est « le pays des 3 mensonges » : ça n’est pas une ville, elle n’est pas nouvelle, il n’y a pas de source.
Notice de P. Rouillac
Provenance :
Vente La Live de Jully, Paris, 5 - 16 mars 1770, n° 129 (Portrait de Watteau en buste, on voit le haut d'une chaise sur laquelle il est supposé assis, pastel de 12 pouces sur 10) ;
Acquis 113 livres à cette vente par Rémy ;
Dans la même famille depuis 1930, collection tourangelle.
Bibliographie :
J. Wilhelm, "Le portrait de Watteau par Rosalba Carriera", Gazette des Beaux - Arts n° XLII, Paris, 1953, pp 235 à 246, reproduit fig. 3 ;
J. Cailleux, "Un portrait de Watteau par Rosalba Carriera", in Miscellanea J. Q. van Regteren, Amsterdam, 1969, pp. 174 à 177 ;
B. Sani, Rosalba Carriera, Turin, 1988, cité sous le n° 143.
Dans le journal de son séjour parisien, Rosalba Carriera mentionne Antoine Watteau à trois reprises. Les deux artistes, qui évoluent dans le même milieu et qui sont protégés par le grand collectionneur Pierre Crozat, se rencontrent lors du retour de Watteau d'Angleterre, en août 1720. Très malade, il ne reste à ce dernier que quelques mois à vivre. Rosalba mentionne qu'elle entreprend un portrait de Watteau à la demande de Crozat le 11 février 1721. Le 15 mars, elle quitte définitivement la France.
Depuis sa commande, nous perdons la trace du pastel qui réapparaît dans la vente de La Live de Jully en 1770, alors grand amateur d'artistes contemporains français. Il est acquis par le marchand Rémy, qui servait souvent de prête-nom à d'importants collectionneurs. Le portrait disparaît à nouveau jusque dans les années 1950, où Jacques Wilhelm le redécouvre dans une collection particulière et lui consacre un article très complet.
Il existe suffisamment de portraits ou d'autoportraits de Watteau pour que l'identification du modèle puisse se faire aisément, bien que Rosalba Carriera ne soit pas réputée pour son art de la ressemblance. Les dimensions sont caractéristiques des formats adoptés par l'artiste lors de son séjour en France. Une longue inscription d'époque au verso reprend largement la notice que Dézallier d'Argenville a consacrée à Watteau, en 1745.
Nous pouvons rapprocher ce dessin du pastel conservé au Städelisches Institut de Francfort, connu depuis 1762 et qui en est l'étude préparatoire (voir B. Sani, Rosalba Carriera, Turin, 1988, n° 143, reproduit n° 118). Moins spontané que son ébauche, Watteau n'aurait posé qu'une seule fois, ce portrait offre cependant un charme particulier, dû au mouvement insufflé au modèle et souligné par l'emploi assez inhabituel chez Rosalba d'un élément de mobilier, le haut d'une chaise.
Jean Cailleux, a en 1969, proposé d'identifier le portrait de 1721 avec celui du Museo Civico de Trévise, et provenant de la descendance de la famille Gabrieli proche de la pastelliste (voir J. Cailleux, Op. cit. supra, reproduit p. 364).
Il nous semble que le charme extraordinaire de ce portrait, sa sensibilité presque wattesque, l'inscription ancienne au revers et la provenance La Live de Jully font largement pencher la balance en faveur de ce pastel.
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