(Photo LOF - Le portrait de Robert Fenwick par Chevalier de Saint Michel est réalisé sur soie. Ses couleurs avaient une grande notoriété, notamment son bleu de Prusse)
La chronique des ventes de décembre 2004 avait signalé l’acquisition par LOF d’un portrait de Robert Fenwick par Chevalier de Saint Michel, signé daté 1771 (42.5x33).
Ce portrait - arrivé à LOF hier - mérite quelques commentaires :
1 – Le style de Chevalier de Saint Michel est homogène – on peut le caractériser comme un "style de myope" : il cadre assez proche (surface de fond faible par rapport à celle du sujet), il aime des contours flous, sfumato mais soigne le détail avec une redoutable précision.
Il n’hésite jamais devant les difficultés techniques (perles, or, etc.) et enfin ses couleurs sont recherchées. (Photo LOF coll LOF - le portrait de sa fille par Chevalier Joseph de Saint Michel - 1767)
LOF possède un portrait de la fille de Chevalier de Saint Michel daté signé 1767. Il est très proche de celui de R. Fenwick dans la manière – dimension comparable ( 39 x 32,8), et montre la permanence de la manière si propre au portraitiste piémontais, « peintre du Roi de Sardaigne ».
2 – Le style est cohérent avec la technique.
De Saint Michel n’est pas un chercheur innovateur – comme Perronneau – mais un perfectionniste qui applique des techniques personnelles : Paul Ratouis de Limay nous le décrit fabriquant ses craies de pastels (couleurs raffinées et textures égales de toutes les craies) et maîtrisant la technique de fixation du pastel mise au point par du prince de San Severo. (Photo LOF - Admirable détail des yeux dans le portrait de sa fille, les nuances de bleu de l'oeil, le rendu de la peau, la maquillage, belle technicité de pastelliste, ce portrait est fixé mais conserve toute sa fraicheur)
Le portrait de Robert Fenwick est un travail rarissime : il est réalisé sur une fine toile peu dense de soie assez finement tissée, blanche.
La toile n’est pas collée, mais simplement tendue sur un cadre.
En transparence, on voit que le pastel n’est pas opaque mais a une multitude de tout petits trous. Pourquoi employer de la soie ?
Ce matériau n’est pas adapté au pastel sur lequel la poudre n’adhère pas.
Quel est le mystère de ce portrait ?
Fixer les pastels a toujours été l’obsession des pastellistes. La difficulté est de le faire tout en conservant les nuances du travail, le rendu mat et fragile et ce qu’on appelle la fleur du pastel, ce nuage léger qui donne l’impression que la poudre est comme suspendue au dessus de la feuille.
Pour fixer on encolle (a la façon de la laque sur les cheveux).
Deux façons de faire :
Première façon : projeter un nuage de gouttelettes les plus fines possible, mais l’opération est délicate, car une goutte trop grosse et le travail est gâché.
Seconde façon … - inventée par de San Severo – on fixe par le dessous : la colle (gomme-laque) fortement diluée (dans un solvant et un rectificateur de Ph) est badigeonnée sur le dos du papier, en plusieurs couches de façon à le traverser et à fixer la poudre de pastel par le dessous.
C’est la technique de Saint Michel a amené d’Italie et fait connaître en France (voir fin de note) en 1772 .
Cette « fixation, loin d'altérer les teintes les plus délicates, augmente et conserve au contraire toute la fraîcheur de son coloris » dit on à l’époque.
La technique fonctionne à merveille avec un support poreux.
(Photo LOF - De Saint Michel signe au même endroit en haut à droite "De St Michel Pin-x suivi de la date)
D’ou l’idée de la soie – qui ne se détend pas – et qui était utilisée vraisemblablement pré encollée afin de la rigidifier et de lui donner de l’adhérence. Probablement Saint Michel posait sa poudre en mouillant son pastel dès lors qu’il cherche le détail, mais le visage et le fond sont réalisés en phase sèche pour conserver des flous et des fondus qui rendent l’ensemble très doux.
Le portrait de la fille de l’artiste est réalisé sur papier, manifestement fixé mais conserve toute sa fraîcheur et d’incroyables détails.
Il est probable que l’adoption du support soie fait partie de l’évolution de la technique.
Le portrait de R. Fenwick est un travail commercial destiné à voyager.
Saint Michel est à juste titre sûr de sa méthode.
Pourtant, ses méthodes ne se sont pas rependues.
Fixer le pastel c’est vouloir lui assurer une longue vie.
Qu’en est-il 250 ans plus tard ?
Le pastel fixé sur soie est impossible à nettoyer, couvert de minuscules taches de décomposition des matières organiques de la laque et des craies.
250 ans plus tard : le pastel sur papier est dans toute sa fraîcheur et R. Fenwick porte les stigmates de l’age. (Photo LOF - Sur ce détail on voit que la dentelle a été travaillées avec des pastels humides - parties en lumière - et on note les minuscules taches de décomposition de la fixation par l'arrière de la toile, ces taches sont réparties uniformément et de façon homogène)
En annexe, l’article Chevalier de Saint Michel du Dictionnaire de Ratouis de Limay et le passage sur la fixation du pastel Chevalier de Saint Michel - Joseph de Saint Michel – Comte Joseph de Saint Michel est une seule et même personne. (Photo LOF - Sur un support aussi impossible à travailler, il fallait à de Saint Michel une vraie dextérité pour en arriver là)
Article du Dictionnaire de Paul Ratouis de Limay
SAINT MICHEL (chevalier de).
Le chevalier de Saint Michel, parfois désigné sous le titre de comte Joseph de Saint Michel, peintre du roi de Sardaigne, semble avoir travaillé dans le dernier tiers du XVIIIeme siècle. Nous avons vu de lui trois pastels :
un Portrait d'homme en habit rouge, à passementeries d'or, sur fond bleu, signé et daté de 1778, oeuvre très honorable, et un Portrait de femme, assez médiocre, et, dans la collection de M. Gunnar W. Lundberg,
un Portrait d'homme en habit bleu, signé et daté de 1766, dénotant un talent de dessinateur et de coloriste fort appréciable.
Dans son étude sur les portraits rémois du musée de Reims, Jadart signale un pastel du chevalier de Saint Michel, signé et daté de 1776, représentant un Capitaine des arquebusiers, Louis Desjardins de Courcelles, vu en buste, assis dans un fauteuil, vêtu d'un habit de velours rouge.
(Note de LOF : Saint Michel avait une fille âgée d’une quinzaine d’année en 1767, il était vraisemblablement actif depuis 1750 en Italie, avant une activité à Paris (et Londres ?) de 1767 à 1780) Ses pastels ne sont pas nombreux, 4 ventes en 25 ans en France. « E così si passa dalla tela "L'Astronomia" di Giuseppe Nuvolone ai ritratti di gentildonna e di gentiluomo eseguiti da Joseph comte de Saint Michel, attivo alla corte del Re di Sardegna tra il 1756 e il 1776 » dit le site unicredit, Tajan reprend 1756-1776 comme période d'activité.
Or nous possédons des portraits datés de 79.)
LE PASTEL EN FRANCE AU XVIII" SIÈCLE
Paul Ratouis de Limay
« Quant au chevalier de SAINT MICHEL.. également de nationalité italienne, il s'appropria, prétend l’auteur du Traité de la peinture au pastel, le secret du prince de San Severo. Il soumit cependant son procédé à l’Académie royale qui, le 6 juin 1772, chargea Bachelier et Roslin de l'examiner. Les Procès-verbaux de l'Académie ne publient pas leur rapport mais, le 7 octobre de cette même année, les Affiches, annonces et avis divers insèrent cette annonce :
« M. de Saint Michel, Gentilhomme Piémontais, Peintre du Roi de Sardaigne, du Prince et de la Princesse de Carignan, etc., ayant trouvé :
1/ le secret de fixer sur :les tableaux le Pastel, d'une manière qui le rend inaltérable, et d'une telle solidité qu'il ne peut être effacé ni coulé de quelque façon que ce soit, en vieillissant, et (ce qu'on doit regarder comme un très grand avantage) qui n'empêche point de retoucher le tableau;
2/ la composition d'un Pastel supérieur à tous ceux qu'on emploie communément et d'une douceur égale dans toutes les teintes : ce qui a été reconnu, en le confrontant aux plus beaux pastels, par plusieurs Membres de l’Académie Royale de Peinture et Sculpture de Paris, ainsi qu'il appert par le certificat délivré au sieur de Saint Michel, au nom de ladite Académie, veut faire part au Public de ses découvertes.
En, consèquence, il a ouvert le 1er Septembre 1772, une souscription de mille Billets de trois louis d'or chacun, qui seront remis entre les mains de M. Collet, Notaire à Paris, rue Saint Denis, au coin de la rue aux Ours, etc...
Moyennant cette somme de soixante douze livres, il sera délivré à chaque souscripteur un Livre contenant :
1/ tout le procédé de la Composition qui fixe le Pastel;
2/ la composition des principales couleurs, telles que le Bleu de Prusse, le Carmin, le Stil de grain [NDLOF il s’agit d’un jaune] et autres, attendu qu'il est nécessaire de les savoir composer soi même afin de les avoir de la perfection requise pour composer d'excellents Pastels.
La souscription n'aura lieu que jusqu'au 1er Janvier 1773.
On voit à la Gallerie du Luxembourg, les jours qu'elle est ouverte au Public, un Tableau de l'auteur, en Pastel, par lequel on peut s'assurer que sa fixation, loin d'altérer les teintes les plus délicates, augmente et conserve au contraire toute la fraîcheur de son coloris.
Le certificat de l'Académie est conçu littéralement en ces termes :
« Je soussigné, secrétaire perpétuel de lAcadémie royale de peinture et sculpture, certifie que plusieurs membres de cette Académie ayant examiné les Crayons de pastel de la composition du Sr de Saint Michel, ils les ont trouvés très beaux, et qu'ayant pareillement examiné sa manière de fixer les Tableaux en Pastel, ils ont reconnu qu'elle peut être très utile aux Peintres en Pastel, en leur donnant les moyens d'attacher les crayons et de pouvoir retoucher après. En foi de quoi... à Paris ce 7 Août 1772. Signé : Cochin. »
Brillante technique décrite au fil d'un brillant billet.
Mon école de l'histoire de l'art est ici, en cours du soir, avec parfois leçons particulières.
Rédigé par : JCP | 05 mars 2006 à 13:22