(Photo Musée de Bergame : La Tour – portrait de Charles-Jacques Colin [59x49] qui fut au service de la Pompadour est centré, affirme sa présence et exhibe sa croix de chavalier de Saint Louis - il fut contrôleur général de l’ordre)
Regarder un portrait est un jeu à 3 personnes : le sujet, le portraitiste, l’observateur. C’est comme écouter de la musique, il y a 3 personnes, le compositeur, l’interprète et l’auditeur. Ce jeu à 3 est d’autant plus riche pour le portrait qu’il concerne 3 personnes.
- L’observateur voit à travers ses connaissances et sa structure psychologique. Chaque époque perd une énorme partie des références qui sont usuelles à une autre – Nous ne savons plus lire les allégories, nous perdons les références mythologiques ou le réflexe de chercher des signes simples. J’ai souvenir du portrait de Manon Balletti (une huile)
qu’on voyait dans tout Paris lors de l’exposition Nattier à Versailles. Tout le monde voyait une jeune femme. En réalité ce portrait était une lettre d’amour. Manon, l’a fait faire pour le donner à Giacomo Casanova dont elle était amoureuse et qu’elle espérait voir revenir. Le portrait dit avec des fleurs qu’elle pense à lui (une pensée en haut du front) et que son cœur est à lui (une rose rouge sur le cœur). Nous avons à apprendre à voir de nombreux signes qui en d’autres temps ou d’autres lieux sont de lecture immédiate. La femme à l’éventail de Stockholm est également un message mais peu de gens savent aujourd’hui encore lire le langage des éventails ou des mouches.
- Le sujet est bien entendu un élément important du jeu à 3. D’autant plus important qu’il a une personnalité forte, un message à passer et impose posture, signe et présence au portraitiste. C’est le cas des visages connus.
- Le premier rôle est donné au portraitiste. Dès lors qu’il a une forte personnalité on ne regarde plus Mao Tsé Tung mais Andy Warhol.
Un portrait de La Tour est d’abord un La Tour.
Pendant toute sa période active La Tour a un trait de comportement constant : il a besoin d’être reconnu comme le meilleur, de se mettre en avant. Et tous les portraits de La Tour représentent le sujet qui se met en avant, qui affirme une présence, qui va surprendre l’observateur. Même une personne effacée donne le sentiment de s’affirmer, caractéristique constante de tous les portraits de La Tour.
Adolescent, il doit démontrer à son père qui l’oriente vers le dessin technique qu’il peut faire une carrière dans le dessin d’art, inconnu il parvient par le travail à entrer et faire carrière à l’académie royale, il se bat pour être reconnu le meilleur par la critique, jusqu’à ridiculiser Perronneau, à n’avoir pas d’élèves. Il se met en valeur dans les salons en récitant ce qu’il vient de lire dans le dictionnaire, il affirme une prétention à tout connaître, il ne veut dessiner que les gens en vue etc…
Il projette ces traits de caractère sur ses clients. Sans aller au sommet d’égocentrisme de Boze (Louvre - pastel ovale) pour qui la personne la plus intéressante est lui-même, La Tour aime l’autoportrait.
La Tour est un homme entier : il évolue peu dans sa technique (on ne distingue pas de périodes dans l’œuvre linéaire de La Tour) il n’est pas un homme qui doute – Diderot dit qu’il travaille avec froideur et méthode - ses portraits n’expriment jamais la faiblesse, l’incertain, le trouble intérieur. Au contraire, La Tour est l’homme d’un regard clair et direct, du cadrage centré. C’est cette lisibilité pleine d’elle-même qui fait qu’on identifie La Tour au règne de Louis XV, à une époque qui vit au présent, sûre de ses valeurs, et de ses choix.
Il en va de même de votre regard sur vos photos. Analyser son portrait fait par quelqu’un qui a cherché à bien faire est difficile. A ce moment, réaliser l’exercice qui consiste à sortir de soi pour se regarder comme si on était un autre est plus facile si on se souvient de « montre moi ton portrait, je te dirai qui tu es ».
Ce Retrato de dama (à curieuse boucle d’oreille) n° INV. 702 entré au musée de Madrid en 1935 et atribuído à Quentin La Tour (Pastel 57 x 46 cm) est-il de La Tour selon vous ? (la bonne réponse est : non)
Magistrale démonstration. Cada vez mais melhor, vizinho!
On ne regrette qu'une chose, c'est que la dame de Stockholm ne puisse pas sortir ce soir...Mais son regard en dit long, pour demain, peut-être...
Rédigé par : jcp | 14 octobre 2004 à 19:57
En réalité, le langage des Eventails n'a jamais existé.
C'est une invention du XIXe siècle propagée par la maison Duvelleroy (en effet, à cause de la mauvaise traduction d'un texte anglais satirique, on a cru à un langage spécifique...).
Rédigé par : Perséphone | 01 août 2012 à 18:11
merci Angèle,
l'éventail n'en reste pas moins un merveilleux outil de communication !
Rédigé par : jp | 02 août 2012 à 07:57
De rien ! C'est vrai...
J'aime beaucoup votre site, il est vraiment bien fait !
Rédigé par : Perséphone | 02 août 2012 à 12:16