(Photo LOF - Publicité de la monographie de La Tour par l'académicien A. Besnard - L'Art Français éditeur - La collection de Georges Wildenstein publie en 1928 cet ouvrage le plus complet encore aujourd'hui - ci-dessous la dédicace de G. Wildenstein - coll. LOF)
Dans la typologie des arts graphiques de l’époque il y a trois genres : la scène d’Histoire (d’imagination), le portrait et la nature morte. Le genre portrait est classé entre la scène « d’histoire » qui impose un travail de composition et d’imagination et la nature morte dernière catégorie. La Tour est à l’Académie Royale « Portraitiste en pastel » et le reste toute sa vie. Il ne fait rien d’autre que des portraits et rien d’autre que du pastel. L’académie reconnaît une spécialité de portrait au pastel depuis 1663 (admission de Nicolas Dumonstrier). La vogue du pastel ira croissante de 1720, séjour de la Rosalba à Paris à la révolution pour la France, à la mort de John Russell en Grande Bretagne. La technique du pastel se prête parfaitement au portrait avec une prise de note rapide, un rendu spontané, fidèle et flatteur. Il existe un lien entre la mode du portrait et l’utilsation du pastel. Mais il existe avant tout une raison technique à cette mode simultanée : la maitrise de la techinque de fabrication du verre plat. Les premières fenêtres à grand carreaux datent de 1721.
(Photo DS - Louvre Portrait de la Pompadour détail : magistrales natures mortes, La Tour parvient à rendre les matières avec facilité)
La Tour possède la maitrise du dessin et est attiré par la mode. Il consacre tout naturellement son énergie à promouvoir sa double spécialité tout en assurant d’abord sa promotion personelle. (En 1752 on craint la disparition du portrait à l’huile - on ne sait pas qui est à l’origine de la décision de l’Académie de refuser l’admission de nouveaux « peintres en pastel » et d’imposer les morceaux de réception des portraitistes « à l’huile », il se peut que La Tour y ait vu un moyen d’assurer son leadership).
La dextérité et la technicité de La Tour lui permettent d’exprimer parfaitement les tissus, les métaux, et les ponts aux ânes des portraitistes (dentelles, fourrures, perles, satins, papier…). Le métier de portraitiste implique de satisfaire les clients, donc de produire d’eux une image où ils sont facilement reconnaissables et qui leur plaise c'est-à-dire flatteuse. La limite du genre est de ne pas faire les clients plus beaux qu’ils ne sont (Nattier). La méthode La Tour est de les faire souriants et décontractés. La technique du pastel répond aux exigences du portrait car elle facilite une prise de vue rapide, un vaste ensemble de nuances dans l’estompe, la qualité de la lumière et de l’ombre, la matité des matières qui donne un bon rendu à la peau éclairée (d’ou un relief du visage les portraits en photo sont plus flatteurs en tirage mat). La sagesse de La Tour est de s’y tenir, il n’utilise jamais l’huile.
Vinci : la Dame à l’Hermine Cracovie. Vinci fait des portraits à l’italienne, ce sont des compositions architecturales, avec des déformations d’optique maîtrisées, des jeux de lignes étourdissants. La Tour comme lui relève le coin de la bouche.
La Tour – qui contrairement à ce qu’on écrit partout n’est pas spécialement psychologue - utilise systématiquement des recettes personelles pour rendre le personnage agréable à regarder :
a - simplification des fonds et naturel de la pose
b - coins de la bouche systématiquement relevés (ce qui donne un sourire plus ou moins accentué - il y a des sourirs bouche ouverte – un air heureux et insouciant ). Relever le coin de la bouche est fréquent chez les italiens (Vinci, Bronzino etc), La Tour en fait une constante
c - front détendu et bien éclairé
d - lumière sous le menton (comme un reflet de mirroir) pour éclairer le visage
e - estompe des rides (lumière un rien tamisante avec disparition systématique des rides de la patte d'oie)
Ces règles d’amélioration sont à reproduire en photographie lors de la prise de vue et de la retouche. Aucun portrait de La Tour ne donne l’impression de gens stressés, préoccupés ou absents.
(Photo Musée des Beaux arts de Bordeaux 45x33.5 - Hubert-François Bourguignon dit Gravelot par La Tour - Même s'ils regarde ailleurs, Gravelot est présent, décontracté. Notez la lumière déplacée sur la droite du visage pour bien faire tourner la tête. Le nez ("c'est au centre du visage que se porte habituellement l'oeil du spectateur. C'est donc l'image de cette partie qui le ramène au souvenir de l'original" Chaperon). Jolie touche de bleu à la doublure de la veste)
Montage LOF : La Tour – à la différence de Rosalba, Liotard, Allais, Russell – n’utilise pas un grand nombre de postures. Il en a sélectionné quelques unes qui lui permettent de bien intégrer le relevé du visage (qu’il fait toujours consciencieusement) sur le corps. La même pose se trouve ainsi répétée dans les portraits
1 – Mlle Ferrand Bayerische Staatgemäldesammlungen Münich
2 – Mlle Fel (DS p. 199) – coll privée
3 – Mme Rouillé de l’Estang (DS p. 171) – coll privée
4 – Mme de la Pouplinière – St Quentin
La Tour ne triche pas : le travail sur le front de Louis Silvestre est impressionnant. Estomper et améliorer, mais surtout utiliser la lumière et la pose. On voit sur un croquis préparatoire de Louis Silvestre à gauche du front une veine les rides horizontales du front et les trois profondes rides inter-sourcilières "rides du lion" et à droite une verrue. Ces détails sont estompés dans le portrait (Saint Quentin inv .6) : veine à peine marquée d’un trait bleu à peine visible, la verrue dans l’ombre, les rides largement estompées
1 – Préparation du pportrait de Louis Silvestre (Photo Wildenstein) aujourd’hui au Getty
2 – Portrait de Louis Silvestre (St Quentin)
Ci dessous Jean Valade (1709-1760) à la même époque (1754 le portrait de La Tour est de 53) éclaire le portrait de Louis Silvestre (Versailles Château) nettement plus en face donc la verrue est visible, le cou dans la lumière vieillit le visage, la commissure des lèvres est plate
La Tour serait-il le premier chirurgien plasticien de l'histoire? Entre lui et Valade, il y a un monde, s'agissant des portraits de Louis Sylvestre.
Dans le rendu, grande mansuétude et bonhomie chez l'un, mais énergie combative chez l'autre.
Rédigé par : jcp | 19 septembre 2004 à 12:25