(La Pompadour par La Tour, grand pastel en pied - Le Louvre)
La Tour réalise le portrait en pied de la Pompadour en 1755. Il a 51 ans, la Pompadour en a 34, le règne de Louis XV est à son apogée.
Il s'agit un portrait presque à échelle 1 de grande dimension (1.75x1.28).
La technique du pastel ne permet pas de faire des grandes surfaces. Le pastel est une poudre, l'artiste ne peut pas travailler au dessus des surfaces terminées au risque de les frotter.
Le pastelliste part du centre de la feuille de papier et travaille vers les bords (voir l’inachevé de LOF).
Pour faire une grand surface le pastelliste travaille donc en faisant plusieurs feuilles qu’il raccorde.
Pour que les raccords soient discrets le bord de la feuille n’est pas coupé droit mais déchiré irrégulièrement. Si les pastels employées ne sont pas de même composition, ils s’altèrent différemment et avec le temps le raccord devient visible. C’est le cas de la Pompadour où la feuille de la tête n’a pas exactement le même bleu de fond. Ce qui devient gênant puisqu'on dirait que de la vapeur monte de ses épaules
La seconde difficulté des grands pastels est la taille du verre et la tension du papier, en 30 ans les verriers sont parvenus faire des grandes pièces qui restent quand même loin d'être plates.
Les feuilles collées gondolent, les défauts du verre rendent ces grands portraits au pastel impossibles à éclairer, celui du Gulbenkian par exemple prend une lumière latérale qui le rend inregardable.
Il a existé de magnifiques grands pastels. Wildenstein avait dans sa collection deux grands formats de Pierre Allais de 81.3x63.5 (1741) (ici la femme) en une seule feuille. Une telle dimension pousse la technique du pastel à la limite du possible. Ce sont des portraits cadrés à la taille.
Les grands pastels
La Tour est reconnu comme le meilleur par la critique et la clientèle dans la technique du pastel. Mais son besoin de reconnaissance, sa volonté d’être premier et le seul, le pousse à vouloir rivaliser avec les grands portraitistes officiels au premier rang desquels, le peintre de Louis XIV Hyacinthe Rigaud (mort en 1743) ou Louis-Michel Van Loo (auteur du grand portrait de Louis XV). Il va donc se lancer dans la production de grands portraits extrêmement coûteux, techniquement impossibles et rarement avec bonheur.
Les grands portraits couvrent la période 1740 à 1761. Par ordre chronologique de portraits conservés :
1740 Etienne Perrinet, chevalier de Jars (1.65x1.35),
1741 Le président de Rieux (2.10x1.51 – le plus grand),
1745 Duval de l’Epinoy (1.18x0.9) le plus beau (Lisbonne Gulbenkian),
1751 La Pompadour (1.75x1.28),
1761 Marie Josèphe de Saxe et de Duc de Bourgogne (1.60x1.14) à Saint Quentin réparé ou mal fini.
(RMN Louis XV par La Tour)
Il faut remarquer que les portraits royaux au pastel sont de taille normale. Il y a de la part de la Pompadour une volonté de s’affirmer comme première maîtresse officielle dans la commande d’un pastel d’une telle dimension.
Prétention démesurée qu'elle partage avec La Tour.
Qui est la Pompadour ?
Le Pompadour est une femme remarquable : elle a des yeux qui voient, une sensibilité aux belles choses, une créativité permanente, le goût et la volonté de faire, elle pratique les arts, collectionne, construit et trait de l’époque elle vie dans l’instant (elle est incapable d’anticiper sur longue période, d’où la catastrophique décision qu’elle soutiendra : le retournement des alliances néfaste à toute l’Europe pendant 200 ans).
Sa mère l’a élevée pour en faire la maîtresse du roi, elle a reçu une éducation de bon niveau.
Pompadour couche avec Louis XV de 1745 à 1750 soit de 21 à 26 ans, il en a 35 à 40. C’est pendant cette période que La Tour fait les portraits de Louis XV (salons de 1745 et 1748).
Quand elle passe commande à La Tour – en 1751 - elle met en place une stratégie pour garder le pouvoir sans passer par le lit.
Je suis convaincu qu’elle n'avait pas une grande attirance pour le lit (dans une lettre elle dit « le sexe de Louis XV sentait toujours un peu la crotte ») même si elle avait le savoir faire.
Après 1750 elle fourni à Louis XV des filles jolies, jeunes et les plus bêtes possible. Elle se réserve les spectacles, les bâtiments (il aime l’architecture), les fêtes, la politique.
Le portrait est achevé en 1755. En 1754 est une mauvaise année pour elle, elle perd sa fille Alexandrine et son père (10 jours plus tard). Dans une lettre de 1755 elle se dit remise de ces épreuves (vente publique en 11 1999), elle écrit à La Tour « je suis à peu près dans le même embonpoint où vous m’avez vue à la Muette, je crois qu’il serait à propos de profiter du moment pour finir ce que vous avez si bien commencé. Si vous pouvez venir ici demain je serai libre… ».
La Pompadour se connaissait elle-même aussi bien que la moindre de ses porcelaines. Elle a des jolis bras, de très belles épaules, les pieds fins, un grand beau regard... et juste ce qu’il faut de bonnes joues. Mais sa poitrine est plate, sa cuisse courte est grassouillette et surtout... son cou est long.
(Photo Metropolitan Museum of Art N-Y : L’image la plus fidèle de la Pompadour est son buste par J-B Pigalle - 1751. En sculpture on ne triche pas, l’épaule est belle mais le cou est long et les seins vraiment discrets, vue de face et de profil)
Le portrait de la Pompadour par La Tour
La Tour va travailler en professionnel. Il fait le meilleur portrait possible de la Marquise.
Pour lui donner de l’importance - à la demande de la marquise - il cadre bas (l’œil est au niveau du genou) on ne verra qu'elle au salon.
La marquise ne porte pas de bijoux, sa coiffure est très simple mais la robe est magnifique (principe universel, on ne doit pas compliquer tout : habit superbe = bijoux simples; bijoux superbes = habit simple).
Tous les objets représentés ont une signification : les livres avec l’Encyclopédie (elle fréquente les philosophes et les nouveaux penseurs, Diderot est un critique dur, admirateur de La Tour), la référence au théâtre, aux sciences naturelles et politiques , la partition (elle chante), une guitare sur le canapé (elle joue de la musique), un recueil de gravures (elle grave), le carton à dessin etc…
Pas d’allusion à l’architecture ou aux arts décoratifs à cause des critiques pour ses dépenses dans ces domaines.
Louis XV et elle ont une fascination pour le règne de Louis XIV ... protecteur des arts et des sciences.
La monographie « Maurice-Quentin Delatour La Marquise de Pompadour » par Jean-François Méjanès, publiée par le Louvre en 2002 (série Solo 19) fait une description détaillée des objets qu’ont choisi la marquise et La Tour. Selon l’auteur le choix des livres ferait du portrait un message politique, une Pompadour pré-révolutionnaire... «regardant vers l’avenir». C’est projeter de façon injustifiée les obsessions de la France actuelle sur la Pompadour qui est l'opposée d'une subversive.
Son caractère est de vivre dans l’instant et dans la plaisir, quand elle vieillit, dans ses souvenirs.
(Photo RMN : la préparation de Saint Quentin, La Tour a trouvé la bonne position de tête, il éclaire bien le menton qui mange la moitié du cou, remarquable intelligence du regard)
Le traitement des disgrâces est spécialement intéressant :
- pour les seins, la marquise utilise un truc de femme : un gros nœud devant. La Tour joue avec la lumière sur l'épaule, façon plus habile de guider le regard
- A la différence de presque tous ses portraits, La Tour ne lui laisse porter ni faveur, ni ruban de chapeau qui cache son cou. Il lui tourne la tête. Le menton occupe la moitié du cou, avec le grand trucage classique de La Tour : le reflet lumineux sous le menton.
- La robe est une merveille et en même temps dissimule bien une cuisse lourde qui au contraire devient un vaste espace ou joue sensuellement la soie, le motif d'acanthe chamois qui passe en deux volutes sur le galbe de la cuisse, tout en l'affinant, comme une caresse, est superbissime.
- à l'opposé les grâces sont mises en lumière : les mains superbes, les doigts déliés, les pieds, la peau.
La Tour obtient de son portrait en pied 24000 livres, somme considérable. Il fera savoir son mécontentement car il estime le prix de son génie au double.
La Tour n’a jamais brillé par l’à propos. Lassée par le manque d'empressement de La Tour, en 1756 La Pompadour commande un autre portrait en pied à Boucher.
Boucher a déjà fait son portrait en 1750, et 1751, il reste son portraitiste fidèle en 58, 59…
Le portrait de la Pompadour par Boucher 1756 (Munich Bayerische Staatsgemäldesammelungen)
Le portrait de 1756 n’a pas la présence de celui de La Tour et encore moins la ressemblance. La manière est toute autre (bling bling) les rubans, la faveur qui cache le cou, les bijoux, la débauche de fleurs, dans le fond les livres évocateurs, un fouillis de gravures près de son chien.
Boucher lui allonge la jambe, mais la position de la tête est la même que celle choisie par La Tour (elle n’a pas oublié). Boucher comme La Tour lui donne une présence, ce qui n’est pas facile avec la robe qu’elle porte.
En revanche Boucher - hélas imprécis à cause de la distance entre le style et le propos - est chargé de dire d'un message poignant. Le tableau figure un grand miroir tourné vers le passé... couleur gris bistre. La marquise écrit dans son carnet, le regard vague.
L'horloge (bien en évidence) est vue dans le miroir et indique donc les heures à l'envers, un écoulement du temps va vers comme vers le passé...
Il est 8 heures moins 20, (sans doute pas par hasard), elle va passer la soirée seule. A ses pieds deux roses nouées : sa fidélité à Louis XV. Émouvante constance, délicatesse de la peine.
Comparaison des portraits de la Pompadour par La Tour et par Boucher à un an d'intervalle.
Pas de doute, La Tour nous rend la Pompadour présente alors que Boucher nous restitue une ambiance