Quand Le Forestier vient au Maroc et en Andalousie, c’est un homme des jardins du nord, c’est-à-dire des jardins où on marche, qui découvre un autre monde : le monde des jardins où on s’assoit : le monde des jardins qu’on habite.
Ce qui est fascinant est qu'il va les appréhender d'abord d’une façon fonctionnelle à travers leur hydraulique.
Ce qui est juste, mais insuffisant.
(Photo LOF - Séville le jardin est fait pour s'assoir, pour suivre de l'œil le jeu de la lumière, apprécier les parfums des roses et des agrumes )
On trouve beaucoup de littérature qui parle des "jardins musulmans ", comme si l’islam avait engendré une esthétique du jardin (cette histoire de paradis coupé en 4 rectangles par 4 fleuves ne fonde pas une esthétique, tout juste peut-on parler de style par exemple pour le non figuratif), c’est un contre sens, l’histoire des jardins habités est une ligne droite des premiers jardins mésopotamiens aux jardins andalous.
On peut mieux comprendre ce qu’est l’essence du jardin habité en voyant comment les Omeyyades - moyens orientaux des zones romanisées (ce ne sont pas des Arabes, ni des gens de culture maure dominante)
- en la personne d’Abd al-Rahman (qui arrivent à Cordoue pour y créer Al Andalus et très vite pour repartir conquérir par le nord Bagdad, sa référence culturelle…) font leur premier jardin.
Outre l’hydraulique, les 3 caractéristiques de ces jardins sont :
- l’esthétique de la lumière,
- la sensualité (ils parlent à tous les sens) et
- la variété des plantes cultivées.
Ces caractéristiques seront exacerbées par les jardins portugais après le retour de la domination chrétienne.
(Photo LOF - Bijou : Les jardins d'Al Andalus sont immédiatement connu dans le monde méditerranéen comme de jardins-bijoux avec d'incroyables jeux de lumière)
Le travail des reflets, les damas d’ombre et de soleil est toujours présent à côté de celui des parfums, des fleurs et des fruits, et des musiques et bruits de jardin.
On est à l'opposé de la scénographie des jardins à marcher, droits où courbes peu importe, des climats moins cléments.
(Photo LOF - Jeux de lumière sur un sol de jardin. Séville)
Abd al-Rahman vient de Damas, il répète dans son jardin une constante du jardin méditerranéen antique qui n’est jamais un jardin tapis ni un jardin-théâtre à marcher.
On lit partout que les multiples fontaines sont ici pour l’arrosage et la fraîcheur, pas uniquement : c’est le chant de l’eau et le jeu de ce miroir et/ou piège à lumière sans cesse animé que cherche le jardinier ibérico mauresque.
(Photo LOF - Jeux de la lumière sur l'eau qui tremble. LOF)
A habiter un jardin, on comprend que dès lors qu’on marche dans un jardin on accorde une priorité moindre aux jeux de la lumière, pour le marcheur-observateur l’eau devient un outil architectural comme tout le reste, notamment comme les plantes.
Il n’y a jamais de grandes fontaines à jets d’eau et chute dans les jardins habités, par ce qu’on s’y assoit et on y parle doucement.
Quand on est bien assis dans le parfum des roses et des agrumes, que la conversation est lente, on apprécie le jeu des reflets lumineux ondulatoires sur les murs blancs ou sur les azulejos, on apprécie un petit glouglou d’eau juste en accord avec le bruit du vent dans les palmes.
Vivre dans un jardin habité, c’est rapidement comprendre sa profonde cohérence et inévitablement sa continuité culturelle.
(Photo Associação Portuguesa de Jardins e Sitios históricos - Réunion devant un immense camélia mars 2009 incroyable présence du végétal dans la maison, étrange photo qui évoque la transition entre les jardins habités du sud et le jardin spectacle des cultures modernes du nord )
Toute une atmosphère. c'est histoire de reflet, de miroitement est très intéressante...
Rédigé par : sophie | 18/05/2009 à 06:26