La cuisine du jardin

Riz pilaf (ou pilaw)

Dans une vidéo sur le riz pilaf Alain Passard se demande qui n'a pas raté son riz pilaf.
Effectivement, ce riz à l'oignon cuit à étouffée dans un bouillon, plat d'hiver par excellence, est difficile à réussir, bien qu'il remonte aux origines de la cuisine dont nous avons les recettes écrites (céréale, oignon, corps gras, bouillon, condiments, voir la fiche wiki פילאף en hébreux pour les nombreuses céréales utilisables).
L'oignon, d'abord l'oignon.
J. Bottéro se demande pourquoi la fille du roi Su-Su'en fin IIIéme millénaire emporte dans son bagage pour Ansan 35 kg d'oignon ...
Il faut choisir un gros oignon de longue garde, type Mulhouse, à chair douce qui se tient bien à la cuisson, l’idéal est de l'espagnol type Rocodoro, sans gout fort. 
L'objectif est d'avoir des morceaux d'oignon d'environ 1 cm de côté (pas trop petits) car ils doivent être sensibles sous la dent, juste fondant dans le riz.
On vise une texture riz+oignon ni trop sèche ni trop mole, onctueuse : c'est l'oignon qui fait le travail, le riz c'est le liant.
La seconde fonction de l'oignon est de tenir le riz  humide à la cuisson sans le détremper, d'où la cuisson au four, à couvert.
L'oignon peut être accompagné de carotte qui font un travail comparable, c'est presque toujours le cas en Russie.

Photo illustrant la fiche wiki riz pilaf en azerbaijani

Le riz japonica ( le Carolino portugais est parfait, en Asie centrale on utilise du riz rouge 1/2 long) doit être longtemps lavé.
La recette est classique : laisser les oignons blondir dans du beurre fondu (les ouzbecks utilisent des huiles de sésame, de la graisse de mouton... la fiche wikipedia pilaf = Palov en ouzbek est une encyclopédie du riz pilaf), il faut un gros d'oignon pour 200 g de riz, c'est à dire beaucoup d'oignon.
Ensuite bien colorer riz+oignon dans votre poêle, frire le riz, cette phase de grillage du riz est importante et longue.
A l'origine (c'est toujours le cas en Azerbaïdjan) le riz était quasi torréfié sur un plaque chaude avec corps gras et oignon.
Nous utilisons pour la cuisson au four une cocote en terre déjà chaude, on y met le mélange riz-oignon chaud, 200g de bouillon chaud (Ariaké poulet+légumes par exemple), un bouquet garni (thym, laurier, zeste de citron) et du sel, couvrir d'un papier sulfurisé puis du couvercle.
Cuire au four à 190° 20 minutes, laisser reposer 1/4 d'heure toujours couvert.
En Iran le riz pilaf est souvent additionné de cardamome, de safran, de cumin, etc. (amusant que la fiche wiki riz pilaf en farci donne la prononciation japonaise de ce mot vieux persan), en Inde avec de la cannelle, du curcuma, dans les pays du Caucase d'ail, d'épine-vinette, de coing, d'abricots ou raisins secs...
mais tout cela n'est que fanfreluche, tout comme le choix du bouillon (au Kirghizistan on utilise même du thé) : ce qui compte c'est l'oignon, le riz bien lavé puis frit et l'exact degré de cuisson.
Chez les turcs et les russes grands amateurs d'oignon le riz plov est un riz de fête, la fiche wiki "плов" (bien faite) se moque des français du XVIIéme siècle qui furent incapables de reproduire la recette moyen orientale car ils détrempaient le riz en une sorte de "mironton".


Un proverbe ouzbek dit "et puisqu'il faut mourir, autant mourir dans le pilaf"

Oignon doux cru

(Photo LOF - oignon rouge moderne Red Baron)

L’Exode, Les Nombres (le peuple de Dieu quitte l’Egypte) constatent qu’il n’est pas facile de changer les habitudes alimentaires des gens même au prix de leur liberté :
la manne d’accord, mais l’oignon d’Egypte manquent au peuple d’Israël traversant le désert.
Le peuple de Dieu avait de bonnes raisons de réclamer des oignons égyptiens.
La migration de l’oignon du nord de l’Iran vers les zones subtropicales du sud égyptien, du Soudan, de l’Ethiopie donne lieu, au 3éme millénaire BC (ou avant), à la création de variétés nouvelles.
Michel Pitrat et Claude Foury dans l’Histoire des légumes (INRA) expliquent que l’adaptation protohistorique de la plante aux jours courts entraîne une nouvelle sélection variétale.
Parmi elles des oignons d’une extrême douceur qui diffuseront en Afrique et qui existent toujours en Egypte où on les consomme cru.

(Photo LOF - Mor Sogan : oignon doux violet truc réputé être un vrai médicament)

Une des variétés égyptiennes « était si excellente qu’elle recevait des hommages comme une divinité » écrit D. Bois, culte qui a perduré jusqu’à il y a peu selon Nerval .
Les arabes les acclimatent dans le sud européen, en Sicile notamment où on en mangeait matin, midi et soir encore au XVIIIéme siècle.

(Photo LOF - la fiche sweet onion de wiki n'existe qu'en trois langues, dont l'italien et oublie complétement la longue histoire de l'oignon doux)

Dans ces conditions, la Manne, toute monothéiste qu’elle soit, était-elle meilleure que l’oignon doux lui-même divinité réclamée démocratiquement ?
Nul ne saura jamais.
L’image d’une tartine d’oignon doux sur le pain du ciel a du traverser l’esprit de certains dans le désert.

Doit-on dégorger l’oignon doux cru ?
Pas pour la salade de tomate, pas pour les œufs durs, ou le thon, à condition de laisser reposer au frais avant de servir.
Un peu s’il se mange comme un condiment avec un pâté, un fromage frais.
Beaucoup si on le sert en tartine.
La durée variera selon l’importance de la note de tête piquante et soufrée.
24 heures donne un oignon doux plus que doux.




Dans quoi le dégorger ?
Eau coupée de vinaigre.
Le Jerez est idéal.
Et aussi eau+vinaigre+mirin afin de donner un peu de sucre.
Trancher l’oignon finement.

Comment le tartiner ?
La tartine est crue, inutile de la toaster,
l’arroser d’huile d’olive,
la couvrir d’oignon,
saler un peu,
et semer des feuilles de menthe coupées en fines lanières.
(verre de vin rouge frais, sud ibérique, lourd, rond)

(Photo LOF - trancher fin)

Tomate oignon blanc citron vert

Tomates pas trop mûres pelées épépinées en cubes, oignon blanc en petits cubes, jus de citron vert (lime) dans un plat bien froid
Option : râper un peu du zeste
Servir immédiatement
Pas d’huile, pas de sel
Et nous voilà dans notre hacienda, en bas le patio noyé par de lumière du Quintana Roo.

Caponata

(Photo LOF - Céleri branche : La caponata ne comprend ni ail, ni poivron, ni piment, ni basilic, ni poivre ou autre condiment - sauf le céleri. C'est une sauce/ragout qui joue sur le sucre-acide)

Chef Damien a publié une jolie recette de fleurs de courgette farcies au homard qui donne envie, elles sont servies sur une ratatouille modernisée froide.
La ratatouille y est improprement nommée "caponata".
Ratatouille se dit caponatina en italien, ce qui est maintenant précisé dans la fiche wiki.fr.
La caponata est une réduction autour de la rencontre oignon-vinaigre.
Elle se fait d’oignon, de câpres, de fines tranches de céleri branche, de tomate, d’olives et de vinaigre.
Les légumes coupés fin sont cuit doucement avec un rien d’huile d’olive et une tasse de vinaigre, on sert chaud ou froid quand le jus de cuisson est évaporé.
Ce mélange aigre-doux (l’oignon et la tomate sucrent) se mange sur des légumes grillés (aubergine, courgette, concombre, etc.), sur du poisson grillé ou sur du pain grillé en antipasto.
Les aubergines (ou autres légumes) doivent être cuits à part.

(Photo LOF - Caponata : aujourd'hui la caponata est un plat d'aubergine aigre-douces car c'est avec l'aubergine que la sauce aigre douce est le plus fréquemment utilisée )

L’association aubergine-caponanta est traditionelle parce que l’aubergine était jusqu’au XXeme siècle souvent amère spécialement en Sicile, Ibn all Awwam (andalou médiéval) donne deux recettes d'aubergine avec du vinaigre.
La caponanta est une évolution avec tomates des anciennes sauces oignon-vinaigre venues de l’antiquité profonde, des premiers agriculteurs mésopotamiens.
C’est un contre sens de la faire au vinaigre balsamique qui modifie sensiblement sont goût et son acidité, de même de l'épicer, en revanche ou peut remplacer les câpres par des cornichons coupés fin, et aussi mettre des pignons, un peu de raisin sec.
Cette excellente sauce/ragout se fait de juin à novembre, pendant la période des tomates avec les oignons d'été.
Elle est bien agréable, froide sur les grillades, bien que vinaigrée elle accompagne sans problème les vins rouges tanniques, frais et généreux, prolégomènes incontournables de la sieste.

(Photo LOF - Lacets de courgettes : la sauce aigre-douce au céleri est également bonne sur les courgettes et les concombre grillés )

Recette publiée dans le cadre du collectif sauvons nos amis les concombres

Oignon nouveau au thon (cipollotti e tonno)

(Photo LOF - oignon tranché)

Cette recette est donnée par Antonio Carluccio, il faut ces merveilleux oignons nouveaux de printemps, les blancs, juste récoltés.
Couper les oignons nouveaux en tranches très fines et faire tremper 1 heure dans l’eau froide, au réfrigérateur.
Les égoutter, sécher, mélanger à la fourchette avec du thon à l’huile égoutté écrasé, huile d’olive, câpres au sel, jus de citron, sel et poivre.
Décorer de quelques feuilles de céleri-feuille hachées.

(Photo LOF - oignons nouveaux)

L’eau fait perdre l’âcreté des oignons, ils donnent à cet antipasti une texture croquante alors que le thon apporte l’onctuosité
« definitely very good »

(Photo LOF - oignon nouveau)

Bœuf Mironton

(Photo LOF - à l'origine le Mironton n'est pas aux oignons)

En arrachant les oignons jaunes soudaine et violente envie de bœuf mironton.
Pourquoi mironton ?
Les dictionnaires ne savent pas l’origine de miroton qui fait penser au bas latin mirantum, racine mir (voir)… admirable, bien avant Marlborough s’en va en guerre mironton mironton mirontaine…
Dauzat trouve trace de miroton au XVII° s., en 1740 le bœuf miroton est mentionné.
En 1742 Le cuisinier moderne de Vincent La Chapelle donne 2 recettes de miroton de mouton et de veau.
A l’origine, le Miroton n’est pas aux oignons, mais de viandes coupées en tranches très fines accompagnées d’une sauce au vinaigre : pure cuisine latine.
En 1750, François-Alexandre Aubert de La Chesnaye donne la recette suivante, typiquement italienne :
« Poitrine de bœuf en miroton. Prenez de la poitrine de bœuf cuit dans la marmite ..
Coupez-la par tranches fort minces, mettez dans le plat que vous devez servir deux cuillerées de coulis, persil, ciboule, câpres, anchois, une pointe d'ail, le tout haché très-fin; sel, poivre.. couvrez, faites bouillir doucement pendant une ½ heure, servez à courte sauce...»

(Photo LOF - éviter les concentrés industriels trop aromatisés doucereux : monder des tomates de fin de saison juste acides puis cuire lentement dans le bouillon de bœuf, réduire, mixer)

Le mironton moderne se fait aux oignons - de préférence du jaune vieux - contrairement à l’ancienne version.
Poser dans un plat à gratin des tranches de bœuf cuit dans un bouillon de légumes, coupées fin (il faut choisir des morceaux qui se tranche bien après cuisson jarret, gîte, etc.) qu’on couvre d’une sauce faite d’oignons coupés fin eux aussi, colorés rapidement puis cuits vivement avec un concentré de tomate assez liquide, un petit verre de vinaigre pour un gros oignon, et une poignée de cornichons au vinaigre coupés en morceau.
Le tout est couvert d’un mélange fromage à gratin + chapelure et gratiné au four.
Cette vieille cuisine est admirable, les accords sont parfaits, la présentation aussi rassurante qu'impossible à photographier.
Pour moduler l'acidité vous pouvez remplacer la moitié du vinaigre par du jus de grenade acide.
Il est déviant et injustifié de faire le bœuf mironton avec des carottes,
750g met des clous de girofle ! alors là non, Chef Damien pas ça,
inutiles également les œufs durs, le vin blanc, ou encore beurrer, fariner, etc.
C’est du bœuf admirable et non du bœuf m'as-tu-vu.

(Photo LOF - la grenade acide fait le même travail que le vinaigre mais apporte une touche tanique)

Purée Soubise version Dodin

(Photo LOF - oignons)

Le repas de l’Altesse du Dodin-Bouffant de Marcel Rouff comprend une purée Soubise, servie après le fameux pot-au-feu (recette extraite du livre en suite de note).
Si vous la réalisez, vous obtenez après 36 heures de cuisson en cocotte de terre sur feu électrique très bas (1,5) un concentré d’oignon  plutôt qu’une purée d’oignon,
qui représente environ le 1/6° du volume des oignons crus,
qui s’écrase facilement au presse-purée à main,
de couleur caramel, bon mais un peu cuit.
La purée Soubise – et c’est là toute sa difficulté – est une « purée blanche » à base d’oignon, d’après Carème, et le Cuisinier impérial. 
Au XIX° Dumas - article Purée d’oignons dit : « Si vous voulez obtenir une purée blanche à la Soubise, vous ne faites pas prendre couleur aux oignons, vous mouillez avec du jus blond, un verre de vin blanc et une chopine de crème, vous faites réduire à grand feu et passez à l’étamine »
On trouve au XIX° des recettes de purée Soubise décrite comme une purée d’oignons blancs.

(Photo LOF – encore un oignon, les photos de purée c’est pas beau, surtout celle de purée d’oignon)

Sous l’ancien régime, les variétés d’oignon étaient peu nombreuses et bien démarquées.
L’Encyclopédie de Diderot signale  « les jardiniers ne cultivent que deux on trois espèces d’oignon : savoir , oignon d'Efpagne (blanc) , l’oignon commun (jaune ou rouge) & l'oignon de Strasbourg (long). …Celui d'Espagne (blanc) à la racine grosse & douce , le  Strasbourg  est plus amer ».
La sélection variétale attentive commence mi XIX.°
S’il s’était agi d’une purée d’oignon doux, les auteurs du XVIII° l’auraient précisé.
Donc, éviter l’oignon rouge et choisir un jaune classique, du type paille des vertus, ou jaune de Sétubal.
Pourquoi Dodin utilise-t-il des oignons nouveaux… qui ont moins de goût ?

(Photo (C) RMN / Droits réservés – détail : Charles de Rohan, Maréchal Prince de Soubise en costume couleur d’oignon – Versailles)

Soubise dit Grimod de La Reynière à propos des entrées d’exécution difficile, était  mauvais général, mais excellent courtisan … sa table  était renommée par sa grande délicatesse… »
Le tour de force qui l’a immortalisé était de servir la carbonnade à la Soubise, un bœuf braisé en carbonnade avec une purée blanche d’oignon.
Une carbonnade que les amateurs font aux oignons blancs.
Le bœuf aux oignons déstructuré version noir et blanc?
Souvent sa purée est appelée sauce Soubise, car liée à la béchamel, les oignons étant blanchis avant cuisson.
Dans une description des plats préférés de Napoléon à la  Malmaison, on trouve des côtelettes d’agneau à la Soubise, entourées de petits oignons blancs avec au centre la purée blanche d’oignon.
La réalisation est plus facile que le bœuf en carbonnade du Maréchal.
Au XX°, c’est avec du veau qu’elle est une garniture appréciée, viande blanche et purée blanche : contre sens des modernes.
Ultime singularité : Dodin la sert seule, vous pouvez la servir sur toast, avec du vin jaune.
Bref, si par fascination pour le beau texte de Rouff  vous réalisez le concentré d’oignon à la Dodin, vous serez loin de ce que la Pompadour avait dans son assiette.

(Photo LOF – et pour terminer des oignons, misérables dans un panier alors que leurs frères cuisent depuis 36 heures, supplice médiéval que ne leur aurait jamais infligé Soubise)