En 1882, Nicolas-Auguste Paillieux, fabriquant de dentelle en retraite à Crosne, devenu membre à 64 ans de la Société nationale d'horticulture de France, et son ami Désiré Bois, reçoivent (à la demande de l’ambassadeur de France à Pékin M. Bourée) une boite de stachys affinis envoyée par le Docteur Bretschneider, médecin de la légation russe en Chine.
Dans le bulletin de la SNAF de 1883 p. 32 (Culture expérimentale de plantes chinoises) Paillieux écrit :
" On ne nous dit pas comment les Chinois la préparent pour la table; mais le Stachys affinis… a beaucoup de rapports avec le Stachys Sieboldii, que l'on rencontre au Japon sous le nom de Choro-ji.
Ses racines tuberculeuses, dit le compte rendu japonais déjà cité, ressemblent à des chenilles.
Pour les manger, on les conserve dans du vinaigre de prunes. J'ai donc mis dans le vinaigre quelques-uns des tubercules récoltés cette année.
Je les ferai peut-être entrer dans des Pickles de composition nouvelle, que j'ai l'intention de vous présenter prochainement."
Ayant réussi à produire en quantité ce rare nouveau légume d’hiver, Paillieux lance une campagne de promotion avec diffusion à tous les spécialistes d’acclimatation horticole.
Paillieux ne diffuse pas la façon de préparer les crosnes, cela se comprend, les crosnes crus sont incipides, leur texture est croquante et intéressante … comme les cornichons ce ne sont pas à proprement parler des légumes… objets des recherches qu’il poursuit.
Joseph Clarté, de Baccarat, reçoit de Paillieux quelques plants en mai 1885 et communique dans le bulletin de 1886 p. 109 :
"Accommodés comme les haricots flageolets [légume d'hiver nouveau à la mode isolé par Gabriel Chevalier en 1872] frais, les .. Stachys font un plat exquis ; cuits dans le jus, autour d'un rôti, ils sont excellents et .. ils pourront également se prêter à bien des combinaisons culinaires; puis .. ils donnent peu d'ouvrage à la cuisinière : les laver proprement, couper les radicules et dix minutes de cuisson; c'est un plat très expéditif... Stachys affinis est appelé à un grand succès"
(ce qui est inexact : La préparation des crosnes (ramassage, tri, lavage) demande beaucoup de temps et de précaution – y compris au Japon )
Aujourd’hui encore la mention des crosnes crus est rare en français, et dans tous les cas c'est "au vinaigre", 125 ans plus tard les recettes donnent presque toujours des crosnes cuits, on lit même: "les crosnes ne se consomment pas crus" sur web.ifrance, copié collé ailleurs ou encore "Ils se consomment cuits (bouillis, à l’étuvée, frits...)"
La façon de consommer le chorogi au Japon (principalement crus au vinaigre rouge comme cornichon de la nouvelle année, crus en saumure, mais aussi frits en tempura ou dans la soupe) n’a pas circulé (pas plus que sa réputation de calmer le cerveau).
De France, seul producteur occidental à grande échelle, le légume se diffuse, son mode de préparation japonais est heureusement reconnu aux USA mais là encore l'information est déformée :
"Chinese artichoke tubers are a delightful raw snack. They can also be steamed or stir-fried.
In France the tubers are featured in creamed soups, served raw, and steamed and eaten with butter...”
La mention de crosnes en soupe est excellente ... même si on ne trouve pas de recette de soupe de crosne en français.
Voici une soupe-crème de crosnes qu'on sert à LOF : cuire 8 à 9 minutes dans un bouillon de bœuf autant de crosnes que de champignons de Paris frais. Mixer fin, crémer, terminer d'un rien de ciboulail.
C’est une expérience qui marque la vie de quiconque la connaît.
La cuisson des crosnes leur donne un goût léger et fin, mais elle est délicate, passé un stade optimum - vers 8 minutes - la racine devient une bouillie pâteuse sans intérêt.
Bref, cette note laisse entrevoir l’immense domaine inexploré d’innovation qu’ouvre un des rares légumes frais de janvier.
Cru, tentez donc la croque au sel avec du sel de citron… c’est moins salé que le vinaigre de prune.
